Ce poème de Verlaine (1844-1896)
Extrait du recueil "Femmes" est daté de 1890.
Tu n'es pas la plus amoureuse
De celles qui m'ont pris ma chair ;
Tu n'es pas la plus savoureuse
De mes
femmes de l'autre hiver.
Mais je t'adore tout de même !
D'ailleurs ton corps doux et bénin
A tout, dans son calme suprême,
De si
grassement féminin,
De si voluptueux sans phrase
Depuis les pieds longtemps baisés
Jusqu'à ces yeux clairs purs d'extase
Mais que
bien et mieux apaisés !
Depuis les jambes et les cuisses
Jeunettes sous la jeune peau,
À travers ton odeur d'éclisses
Et
d'écrevisses fraîches, beau,
Mignon, discret, doux, petit Chose
À peine ombré d'un or fluet,
T'ouvrant en une apothéose
À mon
désir rauque et muet,
Jusqu'aux jolis tétins d'infante,
De miss à peine en puberté,
Jusqu'à ta gorge triomphante
Dans sa
gracile vénusté,
Jusqu'à ces épaules luisantes,
Jusqu'à la bouche, jusqu'au front
Naïfs aux mines innocentes
Qu'au
fond les faits démentiront;
Jusqu'aux cheveux courts bouclés comme
Les cheveux d'un joli garçon,
Mais dont le flot nous charme, en somme,
Parmi
leur apprêt sans façon.
En passant par la lente échine
Dodue à plaisir, jusques au
Cul somptueux, blancheur divine,
Rondeurs
dignes de ton ciseau,
Mol Canova jusqu'aux cuisses
Qu'il sied de saluer encore
Jusqu'aux mollets, fermes délices,
Jusqu'aux
talons de rose et d'or !
Nos nœuds furent incoërcibles ?
Non, mais eurent leur attrait leur
Nos feux se trouvèrent terribles ?
Non, mais
donnèrent leur chaleur.
Quant au Point, Froide ? Non pas, Fraîche.
Je dis que notre "sérieux"
Fut surtout, et je m'en pourlèche,
Une
masturbation mieux,
Bien qu'aussi bien les prévenances
Sussent te préparer sans plus,
Comme l'on dit, d'inconvenances,
Pensionnaire
qui me plus.
Et je te garde entre mes femmes
Du regret non sans quelque espoir
De quand peut-être nous aimâmes
Et de
sans doute nous ravoir.